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Sophocle (-495 à -406) |
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Sigmund Freud (1856-1939) |
L’histoire d’Œdipe, contée principalement au Vème siècle avant notre ère par le dramaturge grec Sophocle, est l’une des plus célèbres qui mette en scène le destin et son inéluctable pouvoir sur l’existence humaine. Laïos, roi de Thèbes, et Jocaste, son épouse, se désolent de n’avoir pas de fils. Ils consultent l’oracle de Delphes qui leur prédit que s’ils ont un fils, le malheur s’abattra sur eux, car cet enfant tuera son père et épousera sa mère, transgressant les pires interdits dictés par la civilisation. En dépit de ces prédictions, Jocaste donne naissance à un fils. Effrayée par la sentence de l’oracle, elle décide de se débarrasser du nouveau-né en l’exposant sur le mont Cithéron accroché à un arbre après lui avoir percé les chevilles avec une aiguille. Au lieu de mourir de faim et de soif ou d’être dévoré par les bêtes, le bébé est sauvé par un berger qui le baptise Œdipe, ce qui signifie en grec « pieds enflés », du fait des sévices subis. Dans le royaume voisin de Corinthe, le roi Polybos se désole, lui, de ne pas avoir de fils. Le berger, trop pauvre pour élever l’enfant lui-même, le présente à Polybos qui l’adopte. Œdipe grandit ainsi au palais, ignorant sa véritable identité, croyant être le fils de Polybos et de Périboea, monarques de Corinthe. Les années passent et Œdipe devient adulte. Un jour, quelqu’un lui révèle qu’il n’est qu’un enfant trouvé. Intrigué, Œdipe s’en va consulter l’oracle de Delphes, lequel lui répète l’horrible prédiction faite jadis à Laïos : « Tu tueras ton père et tu épouseras ta mère. » Bouleversé par un tel présage, Œdipe décide de quitter à jamais Corinthe et de ne plus revoir ses parents présumés. Ainsi, pense-til échapper à l’horrible prédiction ! En chemin, il croise un inconnu avec lequel il se querelle. Sa colère l’amène à se battre et à tuer l’individu. Sans le savoir, Œdipe accomplit la première partie de l’oracle, car cet inconnu n’est autre que le roi Laïos, son véritable père. L’oracle ne dit pas seulement ce qui arrivera : il a l’étrange pouvoir de faire advenir les événements prédits. Poursuivant sa route, Œdipe parvient aux portes de Thèbes et rencontre le Sphinx qui dévore les voyageurs incapables de donner la bonne réponse à son énigme, à savoir quel animal marche le matin à quatre pattes, sur deux à midi et sur trois le soir. Œdipe, ignorant ses origines mais détenant une intelligence supérieure à la moyenne, est le seul à pouvoir donner la solution : l’Homme aux différents stades de sa vie (nourrisson, adulte et vieillard s’aidant d’une canne). C’est ainsi que le pays de Thèbes est délivré de la terreur et Œdipe promu au rang de héros. La reine Jocaste étant veuve, Œdipe est accueilli en bienfaiteur et accepte d’occuper le trône vacant qui lui est offert. Sans le savoir, en entrant dans le lit de la reine, il accomplit la seconde partie de l’oracle. Ainsi, il conçoit avec la reine quatre enfants incestueux qui sont également ses frères et sœurs. L’inceste perturbant l’ordre naturel des générations, ces enfants auront tous une destinée tragique, celle-ci se transmettant aussi sûrement que le patrimoine génétique. Lorsque la peste s’abat sur Thèbes, chacun y voit la colère des dieux pour châtier les hommes d’un meurtre demeuré impuni. Pour l’oracle, c’est le meurtrier de Laïos qu’il convient de retrouver et de bannir de la cité. Œdipe, en tant que roi, fait le serment d’accomplir cette mission, ce qui l’amène à découvrir sa terrible méprise et à reconnaître sa culpabilité. Gagnée par la honte, Jocaste se pend. Œdipe songe d’abord à s’ôter la vie. Mais pensant que c’est là un châtiment trop bref eu égard à la gravité de ses crimes, il se crève les yeux. Chassé de Thèbes, il finit par mourir après une vie d’errance et de mendicité.
Le mythe d’Œdipe relate une succession d’événements où tous les personnages semblent être des marionnettes n’obéissant qu’à une seule partition, en dépit des efforts que fait son principal protagoniste pour tenter d’échapper vainement à ce destin damné qu’on lui a réservé. Cependant, l’acte originel et irrémédiable qui cause la malédiction d’Œdipe et poursuivra aussi sa descendance est sans le moindre doute la faute impardonnable commise par Jocaste qui décide d’abandonner son enfant et accepte de devenir une mère infanticidaire. Son ignorance et sa naïveté l’ont amenée à croire les mauvaises augures qu’une vieille Sybille médisait de sa bouche délirante. Se jouant de la confiance que lui accordaient ses consultants, l’oracle savait pertinemment qu’en prophétisant l’effroi sur l’avènement d’un nouveau-né mâle, il existait une chance sur deux pour que Jocaste devînt à son insu l’artisan de son propre malheur. Se sentant coupable de n’avoir pas réussi à donner naissance à une fille, Jocaste s’est persuadée qu’il valait mieux commettre un crime plutôt que de déplaire à l’oracle et vivre dans l’angoisse et les tourments de l’incertitude. Or, en recueillant l’enfant lâchement abandonné, le berger empêcha la forfaiture de s’accomplir jusqu’au bout. C’est alors qu’une autre chaîne d’événements incertains reprit le cours de la vie, tout en conservant en elle les germes de son malheur. Ainsi, les hommes accomplissent une action en croyant poursuivre et atteindre un certain but. En fait, à leur insu, c’est une tout autre partie qui se joue par l’enchaînement de manipulations, de trahisons, de mensonges et dont le dénominateur commun demeure invariablement l’ignorance inconsciente ou coupable. En restant plus forte que la mort, la vie se venge aussi et de la manière la plus inattendue qui soit des injustes souffrances qu’on lui inflige. Le mythe d’Œdipe sert d’exemple à dénoncer traditionnellement le parricide et l’inceste. Or, en la circonstance, on a oublié tragiquement de préciser que ces deux sacrilèges résultent d’un seul et même crime : Celui de l’infanticide qui, avec le fratricide perpétré par Caïn, doivent être considérés comme d'authentiques péchés originels issus de la civilisation antique. Car, tout au contraire de sa mère biologique, Œdipe n’eut jamais d’intention criminelle puisqu'il fut maintenu délibérément dans l'ignorance de ses origines. Et c’est à tort que la mythologie grecque et, plus encore, l’histoire de la psychanalyse freudienne, en ont fait un coupable idéal au point que cette dernière est allée jusqu'à créer ce soi-disant complexe d'Œdipe qui suppose une attirance sexuelle inconsciente d'un fils pour sa mère (sauf que dans la réalité c'est exactement le contraire qui se passe car l'acte incestueux sur un enfant est toujours imputable au parent tentateur) et donc d'une rivalité imaginée envers son père, à la condition supplémentaire toutefois qu'il préexistât entre la mère et l'enfant un minimum d'amour maternel, ce dont Jocaste fut totalement dépourvue puisqu'elle rejeta Œdipe dès sa naissance. Jusqu'à quel point peut-on même légitimement s'interroger pour considérer que les crimes présumés d'inceste et de parricide d'Œdipe ont été instrumentalisés par les historiens pour mieux dissimuler le crime indiscutable de l'infanticide que le récit du mythe passe totalement sous silence (Bon sang ! Comme M. Jourdain pour la prose, ne serais-je pas en train de faire de la cancel culture sans le savoir ?). Loin d’être isolée (si l'on songe par exemple aux procès et suicide de Socrate), cette méprise anthropologique aurait pu se répéter cinq cents ans plus tard avec la Passion du Christ si une douzaine d’apôtres n’avait pas eu la bonne idée de rédiger des Évangiles et rapporter avec moultes détails ce qu’il convient de nommer comme la toute première erreur judiciaire attestée par l’écriture et unanimement reconnue dans l’histoire humaine.
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