29 août 2025

L'ordre par le chaos ou quand rumeur et calomnie mènent au meurtre sacrificiel


Comme l'a conceptualisé brillamment l'anthropologue René Girard (lire l'article: Je vois Satan tomber comme l'éclair.), les sociétés humaines en tant que corps grégaire se caractérisent chez la plupart des individus par le désir mimétique, à savoir le besoin de ressembler aux autres, de faire comme ses semblables qui tôt ou tard mènent fatalement aux désirs d'avoir et de posséder ce que les autres ont et que nous n'avons pas, désir qui fait partie intégrante du mimétisme et qui engendre de facto la rivalité mimétique. D'ailleurs, ces choses que nous chérissons chez autrui n'ont pas qu'une apparence matérielle tels les habits, les bijoux, les voitures ou les propriétés foncières. Elles peuvent porter aussi sur des caractéristiques personnelles comme la beauté, le talent, le charisme d'autrui, mais que nous souhaitons aussi ravir, en dépit de l'interdiction faite par exemple dans le décalogue de convoiter la femme de son prochain (parce qu'elle serait plus belle que la nôtre). Et, comme vous l'aurez compris, tout ce mimétisme sociale, qui peut être vertueux du point de vue de l'éducation et de l'instruction publique, peut également receler un potentiel de violence et de dangerosité chez l'individu qui n'ayant pas la force d'introspection de régler ses problèmes intérieurs ou péchant par paresse, cherche à tout prix une cause extérieure à ses frustrations et malheurs en choisissant une cible innocente qu'il lui faut envier parce qu'il n'arrive pas à gérer cette rivalité mimétique qui bouillonne en lui. Tant qu'on reste à un échelon individuel, cette violence interne et personnel peut se résoudre au pire par le meurtre caïnite, comme nous l'apprennent toutes ces émissions de faits divers qui pullulent dans les médias et dont les mobiles sous l'angle criminologique sont la plupart du temps invariablement les mêmes: jalousie et cupidité. Mais, l'envieux peut s'avérer beaucoup moins frustre et vouloir échapper absolument à toute condamnation judiciaire. Dans ce cas, il lui sera facile de partager ses rancœurs et frustrations avec d'autres personnes. Comment ? En proférant au sujet de sa cible des calomnies qui auront d'autant moins de peine à être partagées par d'éventuels comparses (proches pouvant trahir facilement la confiance accordée par la victime ou mandataires externes tenus légalement au secret) que ceux-ci auront été soudoyés. C'est en associant calomnie et corruption qu'il est alors aisé d'organiser toute sorte de complot qui transformeront un véritable crime en un malheureux et regrettable concours de circonstances qui ne sortira jamais de la rubrique nécrologique. Enfin, lorsque la rivalité mimétique est instrumentalisée par la politique, la violence qu'elle génère peut engendrer une crise sociale par la rumeur qu'elle propage sournoisement et l'effet de meute qu'elle engendre. Autrement dit, la diffusion de fakes news et l'usage abusif des réseaux sociaux, par leurs algorithmes d'enfermement qui conditionnent toujours plus et à leur insu les individus, peut aboutir collectivement à nourrir une révolte (par ex. la prise d'assaut insurrectionnelle du Capitole le 6 janvier 2021) ou isolément déstabiliser le psychisme des plus vulnérables pour les inciter à commettre des actes irréparables comme des attentats terroristes. Et, lorsqu'un certain chaos informationnel s'installe dans l'opinion publique, il devient annonciateur de violence sociale qui, si elle n'est pas jugulée ou stoppée,  se concentre et s'abat sur un ou plusieurs boucs émissaires qui dans les faits sont rarement (pour ne pas dire jamais) les véritables fauteurs du trouble initial (par ex. les crimes de guerre commis par le gouvernement israélien à Gaza qui se retournent contre la diaspora juive). Le corps social ayant une sainte horreur du désordre (celui-ci ne pouvant être que temporaire), il s'ensuit que les boucs émissaires désignés devaient être sacrifiés pour que la cohésion sociale fût enfin rétablie, au mieux par la Justice dans un régime démocratique et républicain, au pire par l'éradication de toute dissidence dans un régime totalitaire.



Dans la série de documentaires sur les crimes historiques et contemporains produits par Canal+ et intitulée "Hondelatte raconte", le présentateur, Christophe de son prénom, nous narre ce qu'on a appelé "Le lynchage de Hautefaye", petit village et canton situé dans le Périgord français. Certes, les faits qui remontent à l'été 1870 se produisent dans un contexte politique, social et environnemental particuliers. Il n'en demeure pas moins que la sauvagerie qui s'est abattue sur un seul citoyen, allant jusqu'à des scènes de cannibalisme, prouve à quel point le concept anthropologique de René Girard est tout à fait pertinent pour comprendre comment tout un village de quatre cents âmes peut basculer brutalement, en l'espace de deux heures, dans une horreur épouvantable en massacrant un individu totalement innocent et inoffensif, car dépourvu de tout moyen de défense. On découvre que les troubles sociaux, indépendamment de leurs causes véritables, aboutissent à des effets de meute et de crises tels qu'ils ne peuvent se résoudre que par une violence grégaire focalisée sur un bouc émissaire considéré par la foule comme la source du Mal (le faux Satan) alors qu'il ne s'agit que d'un substitut inconscient ou d'un subterfuge conscient qui sert à dissimuler les intentions maléfiques de quelques instigateurs (le vrai Satan) qui, après avoir exacerbé la violence grégaire, parviennent à la purger par le sacrifice d'une ou de plusieurs victimes innocentes, pour préserver une cohésion sociale et restaurer la paix, voire pour les plus perfides retirer de ce meurtre des enrichissements personnels totalement ignorés de la foule qui s'est faite manipulée. À l'ère numérique, il est étonnant de voir que les réseaux sociaux actuels facilitent l'effet de meute instantané et la recherche de boucs émissaires (cyberharcèlement, lynchage médiatique, cancel culture). Historiquement, le lynchage de Hautefaye est symptomatique du mécanisme victimaire décrit par Girard. En ce sens, il rejoint des similitudes historiques beaucoup mieux connues tel le temps pas si lointain où l'on chassait de prétendues sorcières (lire l'article: Au terrible temps des sorcières) ou encore des scandales mémorables comme l'Affaire Dreyfus. Mais, le fait anthropologique fondateur qui a permis de démasquer et comprendre le mécanisme du bouc émissaire selon Girard est sans conteste "La Passion du Christ", grâce à l'existence des Évangiles et aux témoignages précis et concordants qu'ils contiennent. Ce sont les apôtres, disciples et autres témoins de cet événement fondateur du christianisme qui ont permis pour la première fois de mettre à jour le mécanisme de l'effet de meute et du bouc émissaire. Car c'est bien la foule et seulement elle qui, plutôt que de défendre l'innocence de Jésus et le libérer comme l'exigeait la coutume pour la fête juive de la Pâque, décide de le condamner à mort et d'offrir sa clémence à Barabbas qui pourtant était notoirement connu pour avoir été un criminel violent et meurtrier (Marc 15:7, Luc 23:19). Et, en dépit du fait que le préfet Ponce Pilate savait Jésus innocent, il décida de "s'en laver les mains". Et, c'est par le sacrifice de cet innocent que fut prouvée, révélée et rapportée la toute première erreur judiciaire issue de notre civilisation judéo-chrétienne, à tout le moins si l'on fait abstraction du châtiment prétendument divin qui s'abattit injustement sur Job (environ 2'500 à 2'000 avant notre ère) parce que Les Hébreux dans l'Ancien Testament (à la différence du Nouveau) ne pouvait se résoudre à dissocier Dieu de Satan en tant que force maléfique incarnée.

L'effet de masse

En 2019, Roman Polanski sort à ce jour son dernier film "J'accuse" reprenant le titre de la Une du journal "l'Aurore" et de l'article rédigé par Émile Zola en 1898 à propos de l'affaire Dreyfus, du nom de ce jeune officier de l'Armée française accusé à tort par sa hiérarchie de crime d'espionnage au seul motif qu'il était juif. Par aveuglement et acharnement des plus hauts gradés de l'armée, incapables de se remettre en question alors qu'ils furent confrontés  à des faux et contre-preuves indiscutables qui démontraient l'innocence d'Alfred Dreyfus, ce dernier resta enfermé et à l'isolement durant sept longues années sur l'île du Diable au large de La Guyane avant d'être finalement gracié, puis acquitté et réintégré dans l'Armée en 1906. Quant au vrai coupable Ferdinand Esterhazy, il fuit en Angleterre en 1898 après avoir été acquitté dans une mascarade de procès qui devait préserver à tout prix l'honneur d'une clique de généraux antisémites et arbitraires.

 

Cette même année 2019, la chanteuse Maëlle interprète ce titre (écrit par Paul École sur une musique de Calogero) qui dénonce le harcèlement et l'ostracisme auxquels se livrent impunément les adolescents contre l'un des leurs. Mais, une fois l'âge adulte atteint, cet atavisme n'aura pas disparu pour autant et pourra se transformer en complots bien plus retors et sophistiqués : «...Qu'est-ce qu'on peut être idiot quand on est plus nombreux. Je l'avoue le cœur gros: Oui, j'ai ri avec eux...»


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